Historique

Le développement du bois-énergie est et a été dépendant de plusieurs facteurs : le prix des énergies fossiles, bien sûr, mais aussi les soutiens politiques et financiers nécessaires à des projets aux coûts d’investissements conséquents.
Ainsi, c’est dans les années 90, avec la mise en place d’aides financières par l’ADEME, que le bois-énergie va connaître un essor important et permettre de passer de 1990 à 2004 de 90 à 330 installations (de plus d’1 MW de puissance bois) pour une puissance cumulée de 700 à 1700 MW, selon le recensement des installations du CIBE. Dans le milieu des années 2000 et jusqu’au milieu des années 2010, la filière va bénéficier d’une conjoncture favorable avec une augmentation du prix du baril de pétrole et la mise en place des appel d’offres successifs pour la cogénération biomasse par la Commission de Régulation de l’Energie (ou CRE). En 2013, on dénombre ainsi, selon le recensement des installations du CIBE, en 2013, 890 installations (de plus d’1 MW de puissance bois) pour une puissance cumulée de plus de 5 GW. Actuellement et depuis 2014, la filière subit un contexte difficile avec des énergies fossiles à prix faibles. Le graphe ci-dessous explicite ces évolutions.

Extrait de la présentation du recensement des installations au bois de plus d’1 MW du CIBE lors de sa réunion plénière du 31 mai 2017.

Pour en savoir plus, vous pouvez consultez ci-dessous, l’extrait de la présentation de Serge DEFAYE, DEBAT/BEST ENERGIES, Président d’honneur du CIBE au Colloque du CIBE de 2015

 

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Extrait de la présentation de Serge DEFAYE, DEBAT/BEST ENERGIES, Président d’honneur du CIBE au Colloque du CIBE de 2015

Pour savoir où l’on va, il faut connaître où on en est et d’où l’on vient

Le chauffage domestique au bois est en France une réalité économique, sociale et culturelle non seulement très ancienne, mais de première importance, bien qu’elle ait été pendant très longtemps ignorée (et parfois encore) par les statistiques forestières et énergétiques.
Par contre le bois-énergie, sous ses déclinaisons collective et industrielle, était inexistant dans l’hexagone avant les chocs pétroliers des années 70, si l’on excepte les chaufferies des entreprises du bois qui brûlent des sous-produits et déchets de process.

Son développement, du début des années 80 à aujourd’hui, sera étroitement dépendant :

  • du prix directeur du baril de pétrole qui détermine, directement ou indirectement, les prix des combustibles fossiles ;
  • des politiques publiques de soutien qui ne s’inscriront pas toujours, hélas, dans la continuité.


Les années pionnières : 1980/85

Le plan ALTER en 1978 (dont un des auteurs Philippe Chartier était alors directeur du département de Bioclimatologie de l’INRA et fut ensuite directeur scientifique de l’ADEME) sera le premier document de prospective énergétique à affirmer que la biomasse pourrait représenter 40 millions de TEP dans un bilan énergétique « tout renouvelable » à l’horizon… 2050, dont une majorité pour la biomasse ligneuse forestière et agricole, y compris les plantations agro-forestières (Taillis à Courte Rotation ou TCR à vocation énergétique). Les évaluations récentes n’ont pas modifié fondamentalement ce potentiel.
Les premières chaufferies bois en milieu rural démarrent à la charnière des années 80. Elles sont portées par des collectivités et des associations professionnelles et accompagnées par la jeune Agence Française de la Maîtrise de l’Energie (AFME- 1982). Mais elles se heurtent au scepticisme (pour ne pas dire plus) des tenants du fossile et du fissile (aux partisans du « tout électrique »).
En parallèle, la société Biochaleur notamment, émanation de l’union des HLM et la Caisse des dépôts et des consignations promeut des chaufferies bois de plus forte puissance pour chauffer de grands ensembles de logements sociaux. Illustration la plus connue de ces premiers grands réseaux de chaleur au bois : celui de Vitry Habitat qui dessert plusieurs milliers de logements depuis 30 ans.
Ces projets, en milieu rural comme en ville, répondent à la volonté de s’affranchir du poids et du prix des produits pétroliers alors encore très majoritaires dans le petit collectif comme dans le chauffage urbain. Chez les promoteurs de ces premières réalisations, sont présentes des préoccupations environnementales, centrées sur la préservation des écosystèmes, l’entretien des forêts et le développement économique local et durable. Par contre la problématique globale de lutte contre l’Effet de serre n’est pas encore d’actualité (cette question est débattue seulement dans des cercles scientifiques restreints). D’ailleurs, le Fonds Spécial Grands Travaux (FSGT- 1982) qui subventionnera les premiers gros projets bois financera aussi et surtout des chaufferies charbon dans l’industrie et les réseaux de chaleur, dans le cadre d’une relance charbonnière voulue par le gouvernement Mauroy.
Les énergies renouvelables ou EnR et la biomasse connaissent alors un grand succès d’estime dans l’opinion, mais passent encore mal dans les faits car les technologies ne sont pas matures, les savoir-faire des acteurs économiques restent à confirmer et la filière bois-énergie, comme on a coutume de l’appeler, n’est pas véritablement constituée et opérationnelle.

Le contre-choc pétrolier et la traversée du désert

Après cette période d’engouement de quelques années (de 1980 à 1985), le contre-choc pétrolier de 1986 va mettre un coup d’arrêt aux projets collectifs et industriels. L’Arabie Saoudite engage alors une partie de bras de fer avec les pays occidentaux, ce qu’on appellera la guerre des prix (qui n’est pas sans rappeler ce qui se passe actuellement !). Elle va perdre son pari : le baril de pétrole qui avait atteint 35 $ s’effondre et va demeurer dans une fourchette de 15 à 20 $ pendant presque une vingtaine d’années.
On s’installe alors dans une longue période où les consommateurs de pétrole et de gaz vont bénéficier de prix extrêmement bas, qui les ramènent aux années antérieures aux chocs pétroliers des années 70 (et aux mauvaises habitudes du passé).
Dans cette situation, que personne n’avait vu venir, les promoteurs du bois-énergie, épaulés par l’AFME (puis l’ADEME), vont multiplier les études et les initiatives, mais sans grand succès. Les prix des combustibles fossiles sont beaucoup trop bas pour permettre l’émergence de solutions alternatives, très coûteuses en investissement et en exploitation. Cela concerne le fioul domestique dont le prix est directement lié au pétrole brut, mais aussi le gaz naturel indexé sur le pétrole dans le cadre de contrats d’approvisionnement à long terme « take or pay ». Dit autrement, la marche est trop haute pour convaincre les décideurs à la base. D’autant qu’au cours de ces années ne se manifeste aucune volonté en faveur des énergies renouvelables au sommet (discours convenus des Ministres à leur arrivée et vide sidéral dans leur administration !).
Certes, quelques chaufferies bois et réseaux de chaleur verront le jour, portés par des collectivités territoriales et des professionnels militants, notamment en Rhône-Alpes, Franche-Comté, Normandie… Mais ces exemples trop isolés (bien qu’ils aient été vulgarisés, dans la presse régionale notamment) ne pèsent pas lourd dans le paysage énergétique hexagonal. La France n’est évidemment pas le seul pays confronté à ce contexte adverse. D’autres pays européens ne réagiront pas de la même façon, ne baisseront pas les bras et poursuivront les programmes engagés auparavant :

  • La Suède par exemple, du fait de ses abondantes ressources forestières, mais avec beaucoup de volontarisme politique, qui se traduira très tôt par une forte écotaxe, laquelle atteint aujourd’hui 120 € par tonne de CO2.
  • L’Autriche, dans une problématique originale d’indépendance énergétique et de développement local, qui va multiplier les réseaux de chaleur au bois dans les petites villes et gros bourgs ruraux accompagnés par les «landers» et mis en place concrètement par des coopératives de forestiers et d’agriculteurs. Ajoutons que les Autrichiens par référendum ont décidé en 1978 de renoncer au nucléaire et à Zwentendorf, la seule centrale construite, qui de fait n’a jamais fonctionné. Ceci explique peut-être cela !

Le modèle autrichien et le lancement du Plan bois-énergie et développement local

En 1992, un voyage d’étude organisé en Styrie à l’est de l’Autriche, par L’ADEME et le Comité de Liaison Energies Renouvelables (CLER), va nous permettre de constater que nos collègues autrichiens réalisaient, ce dont nous rêvions.

Les pouvoirs publics régionaux pilotaient d’ambitieux programmes de développement du bois-énergie :

  • en mettant en place des outils d’animation, d’accompagnement et de contrôle ;
  • en soutenant les forestiers et les industriels du bois pour la production/distribution des plaquettes forestières, lesquels professionnels de l’amont prenaient parfois aussi la responsabilité d’exploiter les petites chaufferies et réseaux en milieu rural ;
  • en engageant des travaux de R&D, associant laboratoires universitaires et constructeurs de matériels ;
  • en subventionnant à un niveau élevé les chaufferies et les réseaux qui se mettaient en place à l’initiative des communes, mais aussi des coopératives locales.

Leur retour d’expérience était très positif. Favorablement impressionnés par l’exemple autrichien, nous nous sommes attachés à le vulgariser (« Le chauffage collectif au bois, réflexions autour des exemples Français et Autrichien / DEFAYE S. in Revue de l’énergie n°454 -1993/12) et avons vivement interpellé les pouvoirs publics afin de les alerter sur le désert français en matière d’énergie renouvelable (de bois-énergie en particulier), en leur démontrant que d’autres pays européens étaient engagés dans un développement du chauffage collectif au bois à grande échelle, alors même que leurs conditions économiques, énergétiques, climatiques, forestières étaient en tout point similaires aux nôtres.
Ces arguments ont été finalement entendus et repris par un Préfet, Claudius BROSSE, chargé à la DGEMP (Ministère de l’industrie) d’établir un rapport sur les perspectives du bois-énergie en France. Sur la base des conclusions de ce rapport, les pouvoirs publics ont décidé de lancer le Plan bois-énergie et développement local en 1994/95. Les deux termes ont leur importance. Dans le cadre d’un appel à projet, treize régions et départements ont été sélectionnés. Ce programme sera élargi ensuite à l’ensemble du territoire. Dans les régions sélectionnées, des opérations vont se concrétiser grâce aux subventions apportées par les pouvoirs publics (État, Régions, Fonds structurels européens) dépassant 50 % voire 60 % du montant des investissements… Dans une équation économique toujours aussi difficile à résoudre, ces subventions étaient nécessaires pour contrebalancer les investissements sur la durée de vie des installations, la charge d’amortissement impactant très négativement le prix de revient de la chaleur, surtout pour des puissances souvent inférieures à 1 MW. Dans l’ensemble, les réalisations seront de taille assez modeste. Le développement, des réseaux de chaleur notamment a été limité puisque dans ce cas, la chaleur livrée à l’usager (toutes charges confondues et toutes taxes comprises) était, comme constaté dans les études de faisabilité, souvent plus chère que la référence fossile, que celle-ci soit issue du gaz naturel dans les villes ou du fioul domestique en milieu rural.
Ainsi le Plan bois-énergie et développement local ne réussira-t-il pas à contrebalancer l’obstacle de références fossiles toujours trop basses. Toutefois il permettra la mise en place d’un nombre significatif d’opérations dans une gamme de 300 kW à 3/4 MW, de disposer de références et de faire émerger/ former des professionnels, aptes à saisir l’opportunité qui se présentera au milieu des années 2 000/2010.

Le choc pétrolier rampant et le Fonds chaleur : (re)démarrage de la filière

La situation décrite précédemment va perdurer jusqu’au début de années 2000, moment à partir duquel vont se manifester les prémisses du choc pétrolier rampant qui s’étalera de 2003 à 2013. Cette période va se caractériser par un (re)déploiement à vaste échelle, sous l’effet de trois facteurs favorables :

  • D’abord et surtout une hausse régulière et continue du prix du baril de pétrole pendant près de 10 ans, lequel dépassera les 100 $ et entraînera à sa suite ceux du gaz naturel (tarifs régulés + 7 % par an) et du fioul domestique (+ 10 % par an) ;
  • La baisse de la TVA à 5,5 % sur les réseaux de chaleur, à compter de 2006 (mesure réclamée depuis une quinzaine d’années par les promoteurs du bois-énergie), votée par le Parlement et enfin autorisée par une modification de la Directive communautaire, elle-même consécutive à l’entrée dans l’Union Européenne des pays d’Europe de l’Est ;
  • La création du Fonds chaleur, suite au Grenelle de l’environnement, doté de moyens financiers importants, qui au-delà constituera un signe politique clair adressé aux décideurs, qu’il s’agisse des collectivités territoriales, des gestionnaires de patrimoine ou des industriels.

Le Fonds Chaleur, dans le contexte haussier des énergies concurrentes, aura un véritable effet de levier. Les réalisations vont se multiplier, notamment :

  • par la création ou l’extension de réseaux de chaleur, en délégation de service publique (DSP) ou en régie communale ou mutualisée, encouragées par l’application du taux de TVA réduit lorsque la production par les ENR et R dépasse le seuil de 50 % ;
  • avec, phénomène nouveau, l’adoption du bois-énergie par les industriels bénéficiant d’un appel à projet qui leur est dédié (BCIAT).

Les grandes compagnies de chauffage vont s’intéresser à une filière qu’elles avaient ignorée, étant jusque-là surtout positionnées sur la cogénération gaz dans l’industrie (lorsque le prix du gaz était très bas).
Le développement de la demande va susciter chez les forestiers au sens large, la structuration d’une offre de biocombustibles pour approvisionner des chaufferies de taille petite et moyenne en circuits courts, mais également des opérations de forte puissance exigeant des quantités beaucoup plus importantes, y compris des centrales de cogénération créées par des industriels et à un moindre degré par des exploitants de réseaux de chaleur.
Au début des années 2000, les professionnels de l’amont et de l’aval, à l’initiative de l’ATEE et de Biomasse Normandie, ont commencé à se retrouver au sein de la Commission interprofessionnelle du bois-énergie. En 2006 ces professionnels de la « pépinière à la cendre », vont créer le Comité Interprofessionnel du Bois Energie (CIBE). En 10 ans, le CIBE va s’affirmer comme un véritable centre d’expertise, au travers de la mise en commun des savoir-faire de ses adhérents qui travaillent au sein de commissions thématiques spécialisées. Le CIBE est ainsi devenu l’interlocuteur obligé des pouvoirs publics, notamment de l’ADEME et à ce titre consulté régulièrement sur les questions d’approvisionnement, technologiques, économiques, juridiques et réglementaires.

Un retournement de conjoncture énergétique à surmonter

Depuis la seconde moitié de 2014, la situation s’assombrit à nouveau avec un baril inférieur à 50 $. L’année 2014 a été mauvaise, dans un climat économique morose et une période d’élections municipales peu propice aux décisions des collectivités (six mois avant et six mois après l’élection). La dérégulation du prix du gaz affecte la rentabilité des projets de taille moyenne à grande, surtout dans l’industrie.
L’année 2015 demeure médiocre même si se manifeste en fin d’année un léger frémissement.
L’effondrement du prix fioul domestique et la forte baisse du prix du gaz rendent la viabilité de nombreux projets très difficiles, d’autant que les coûts d’investissement ont tendance à croitre (mise aux normes du traitement de fumées) et que les coûts d’exploitation / maintenance avaient parfois été sous-évalués. De même, il faut prendre en compte une nécessaire réévaluation du prix des combustibles bois, puisque les marchés de niche et de proximité ne sont plus adaptés à des projets qui changent d’échelle.
Face à ces points défavorables, des décideurs passent néanmoins à l’acte, grâce :

  • aux subventions à la hausse, car il est désormais possible de cumuler Fonds chaleur, Aides régionales et Fonds structurels européens, dans la limite de l’encadrement communautaire ;
  • à des taux d’intérêt très bas, tout particulièrement les prêts Croissance verte (livret A + 0,75 %) proposés par la Caisse des dépôts et consignations aux réseaux de chaleur en régie, comme en DSP ;
  • à la contribution climat énergie qui va aller en augmentant à la suite du vote récent au Parlement. Dans une conjoncture énergétique redevenue très défavorable aux alternatives renouvelables, ces éléments positifs viennent faciliter les décisions d’investissement des collectivités, des opérateurs énergétiques et des industriels, confortées également par une prise de conscience environnementale (Conférence Climat 21, Loi sur la Transition Energétique), dorénavant mieux partagée par les acteurs publics et privés qu’au cours des décennies précédentes.